Un texte de Nicolas Giraud:
«Cher Thomas, tu m'avais demandé pendant mon séjour chez toi, en avril, un avis sur le Japon, un avis de "touriste" puisque c'était mon premier voyage dans ce pays où je voulais venir depuis longtemps. Je ne te réponds que maintenant, j'avais, je crois, besoin d'un peu de distance. Il a fallu en réalité que je m'exile aux Etats-Unis pour pouvoir penser un peu au Japon, et comprendre les comparaisons, la vision que chacun a de l'étranger. J'utilise exprès cette forme très réductrice de la comparaison et du cliché, les Japonais…, les Français… (et aussi les Américains…), car je crois que c'est la première grille de lecture, sinon la seule, que l'on utilise en voyage. Plutôt que de vouloir y échapper, j'essaye de l'utiliser au mieux.
On croit reconnaître certaines choses au Japon et ces choses nous servent de point d'appui pour essayer de comprendre, d'approfondir tout le reste, ce qui nous semble radicalement étrangère, presque irrationnelle. Faire la différence entre le wasabi et le wabi-sabi, réévaluer la portée du jardinage ou le poids réel d'un jeu de go, tout cela fait partie des expériences physiques nécessaires pour compléter les connaissances rationnelles ou littéraires que l'on amène avec soi.
Mais reconnaître m'a souvent semblé un piège. On a si vite tendance à reconstruire notre solide cadre de pensée sur un vague élément de ressemblance, souvent d'ailleurs sur un détail mal interprété.
On reconnaît la marque des Etats-Unis au Japon, des pans entiers ici et là, dans le rapport frénétique et infantile à la consommation par exemple. D'autre fois, on a le sentiment d'une opposition totale. On ne devient pas Japonais, on reste un gaijin alors qu'être Américain c'est presque uniquement se sentir – et se proclamer - Américain. Là où les Japonais sont d'une discrétion exemplaire, d'un calme imperturbable, les Américains vous arrêtent dans les allées du supermarché pour vous raconter leur vie – au cas où vous ne les auriez pas entendus venir depuis le rayon des boissons énergétiques.
Rien à vrai dire n'est une qualité ou un défaut, ni chez les uns, ni chez les autres. Il n'existe finalement que le plaisir ou le déplaisir de voir l'ensemble former un système complet, exactement les mêmes réactions humaines mais combinées différemment.
Même dans cette soif frénétique de consommation les deux pays construisent, avec les mêmes outils deux mondes opposés. Pour les Américains, acheter est la fin ultime de la modernité, la finalité d'un mouvement entamé avec la conquête du territoire, puis du monde, puis de la lune, puis des frigidaires avec des distributeurs de glaçon. On est toujours dans le "trop", le luxe c'est la quantité, la climatisation est à fond, le chauffage est à fond, la voiture et les burgers sont énormes. Le pays certes est gigantesque. Pour les Japonais, il s'agit, avec beaucoup de précision de comprendre une modernité qui leur échappe, cette modernité, ce lent passage d'une société traditionnelle à une société industrielle qui n'a pas eu lieu au Japon.
Le basculement direct d'une pré-modernité à une post-modernité explique sans doute cet étrange sentiment que l'on ressent, lorsque l'on est étranger, d'un société qui nous familière mais dont on ne peut comprendre les motifs. Le recyclage que l'on envisage en occident comme le moyen de prolonger une modernité moribonde est au Japon un principe ininterrompu, la transformation instantanée et réversible d'une société traditionnelle en une société post-industrielle.
C'est un avis à l'emporte-pièce, j'ai pourtant cette impression au Japon que je suis à la fois dans un simulacre et dans un laboratoire, c'est-à-dire que les choses n'arrivent pas pour elles-mêmes, pour ce qu'elles semblent être, mais qu'elles visent au-delà. Lorsque j'achète un objet en Amérique c'est pour l'objet, en France c'est pour (le plaisir de) l'acheter, au Japon le geste n'est que le véhicule d'autre chose, je ne veux pas dire quelque chose de spirituel, bouddhiste, etc, je dis juste quelque chose d'autre, peut-être l'emballage.»
C'est une belle réflexion, riche et dense ... au delà d'une analyse, toujours contestable, voila quelqu'un qui sait sentir.
Rédigé par : Alain | 20 octobre 2008 à 13:55
Ce texte aurait pu être intéressant s'il ne basait pas sa tentative d'éviter les clichés sur le Japon sur l'accumulation de ceux provenant des les États Unis, et au final de ne pas dire grand chose. Dommage.
Rédigé par : David | 20 octobre 2008 à 15:02
La premiere impression, les premiers instants de quelquechose de nouveau sont souvent la verite claire et translucide qui se dilue et se perd lorsqu`on y demeure trop longtemps.
"J'utilise exprès cette forme très réductrice de la comparaison et du cliché, les Japonais…, les Français… (et aussi les Américains…), car je crois que c'est la première grille de lecture, sinon la seule, que l'on utilise en voyage. Plutôt que de vouloir y échapper, j'essaye de l'utiliser au mieux" > C`est excellent, la comparaison est d`autant plus riche qu`on peut difficilement se passer d`un referentiel connu pour mettre en valeur les differences, une evidence qui ne l`est pas toujours.
J`ai eu beaucoup de gens qui me disaient souvent que le Japon etait incomparable et qu`il ne fallait jamais comparer avec quoi que ce soit. Comment ne pas se perdre totalement ?
Rédigé par : Giyo Chan | 20 octobre 2008 à 20:08
"le rapport frénétique et infantile à la consommation", à Mumbaï et à Shanghai aussi, et à Paris, Madrid et Rio de Janeiro.
"ce lent passage d'une société traditionnelle à une société industrielle qui n'a pas eu lieu au Japon". Où y a-t-il eu passage lent? Dans la forêt amazonienne? La révolution industrielle a soudain eu lieu au Japon à partir de 1945 avec l'arrivée des GIs?
Du vent tiède d'affabulé tout cela. Un classique.
Rédigé par : Lionel Dersot | 21 octobre 2008 à 08:23
pfiou, quelle condescendance dans ce dernier commentaire... Même si à l'évidence son auteur est très pointu, est-ce bien une raison pour traiter de la sorte ce qui n'est qu'un témoignage de découverte?
ps : ceci étant dit je lis à l'occasion -et apprécie- votre blog Mr Dersot
Rédigé par : Guillaume | 21 octobre 2008 à 17:08
Ce lent passage, etc.
Certes en Europe et aux États-Unis, la première révolution industrielle, est révolutionnaire dans les techniques et les volumes de production mais ses principes sont le résultat d'une évolution linéaire des techniques et des idées. Ce n'est pas le cas au Japon qui hérite à Meiji (plutôt qu'en 45) d'un ensemble de paradigmes industriels et techniques "tout-fait". Il me semble que cela explique le rapport étrange que le Japon entretient avec l'idée de modernité, par exemple, dans le domaine artistique. Il est possible que cela détermine aussi un rapport frénétique et infantile à la consommation (ce qui est un pléonasme volontaire), en tout cas une version du capitalisme qui me paraît plus intéressante et plus radicalement différente que celle constante des Européens (Madrilène et Parisien inclus), des Mexicains, des Américains...
Cela dit, je maintiens ma posture, très révolution industrielle, d'amateur. Mon texte n'étant qu'une réaction à quelques brèves semaines sur le sol Japonais, juste le temps de glisser, très consciemment, à la surface des choses. Je n'ai malheureusement pas le loisir, ni l'envie d'approfondir des impressions et des clichés que je sais tels, et qui sont d'ailleurs souvent des schèmes essentiels compris de travers.
Cela dit, il serait tellement dommage qu'un séjour dans un pays dont on ne parle pas la langue soit autre chose qu'une fable que l'on se raconte à soi-même ou aux autres.
J'aime bien votre "vent tiède d'affabulé", inutilement vexant mais assez juste.
Rédigé par : n.g. | 22 octobre 2008 à 01:46
Les premiers instants au Japon, pays bien mysterieux precede par une formidable image, semble toujours creer une dimension surrealiste chez ses visiteurs, un besoin d'etre perdu pour valider son voyage, peut-etre un besoin d'etre un voyageur special qui y sentira quelque chose d'unique (unicite par rapport aux autres visiteurs). Alors que les Japonais n'ont pas invente la lune, pas plus que les autres pays merveilleux de notre planete. Est-ce ca le secret du Japon, laisser planer le doute et generer des interrogations pour faire parler de lui en mal et en bien, et en trop ?
Rédigé par : jb | 22 octobre 2008 à 01:54
Si j'ai publié ce texte, c'est qu'il me paraît riche, par son style et intéressant pour ce qu'il montre de la vision acquise lors d'un premier voyage ici.
Cela reste du vent tiède si l'on ne veut pas voir un peu plus et essayer de comprendre à travers ce témoignage, pourquoi cet intérêt pour le Japon chez beaucoup de Français ?
Rédigé par : Thomas | 22 octobre 2008 à 12:46